- PSYCHOMOTRICITÉ
- PSYCHOMOTRICITÉLe concept de psychomotricité reste, dans son emploi aussi bien courant que scientifique, assez ambigu. On peut néanmoins surmonter cette ambiguïté en le référant à l’intention originelle de ceux qui l’ont forgé et en ont fait la théorie: Piaget et surtout Wallon. C’est à Wallon, en effet, que l’on doit la découverte et les premières explorations de ce nouveau champ d’investigation grâce à ses recherches cliniques et expérimentales sur le développement psychomoteur de l’enfant, les syndromes et les types psychomoteurs. Cependant, il convient aujourd’hui de corriger la perspective wallonienne parfois trop neurologiste en soulignant le rôle des relations affectives et pulsionnelles, autrement dit en tenant plus largement compte des acquisitions psychanalytiques. Il en résulte à la fois un élargissement de la classification des troubles psychomoteurs, un enrichissement des techniques thérapeutiques appropriées et une extension du champ d’investigation de la psychomotricité. Outre les domaines génétique, pathologique, différentiel, un tel champ comporte aussi celui, plus complexe, de l’adaptation de l’individu normal avec ses composantes pragmatique, sociale, esthétique et éducative. Ce vaste domaine connaît, de nos jours, un grand essor et, grâce à la mise en valeur de la perspective interdisciplinaire, profite aussi bien des expériences psychotechniques, psychosociologiques, artistiques et pédagogiques que des techniques médicales et psychanalytiques. Bref, la psychomotricité est le carrefour de toutes les tentatives pour analyser et réaliser la maîtrise du comportement.Les origines théoriques du concept: Piaget et WallonL’ambiguïté dont souffre le concept de psychomotricité tient, d’une part, aux concepts qu’il associe, d’autre part, à la signification de cette association. Si, en effet, le concept de mouvement revêt un sens précis, celui de psychisme prête toujours à confusion: on peut soit le limiter au «mental» ou au conscient, soit l’étendre au comportement au sens néo-watsonien. A fortiori la juxtaposition de ces concepts est-elle équivoque: dans le premier cas, elle désigne le mystérieux dualisme de l’âme et du corps; dans le second, elle est un pléonasme, puisque le mouvement fait partie intégrante du comportement. Pour déterminer le contenu sémantique précis et légitime de la notion de psychomotricité, il conviendrait donc de la rapporter à l’intention originelle qui a présidé à sa formation. Cette intention, on la trouve chez Jean Piaget et, dans une plus large mesure, chez Henri Wallon, lesquels ont l’un et l’autre souligné, mais chacun avec une visée, une méthode et une conceptualisation distinctes, que le psychique et le moteur ne sont pas deux catégories ou réalités étrangères, cloisonnées, séparées, soumises l’une aux seules lois de la pensée pure, l’autre aux mécanismes physiques et physiologiques, mais, bien au contraire, l’expression bipolaire d’un seul et même processus, celui de l’adaptation souple, mouvante et constructive au milieu environnant. Autrement dit, pour Piaget et Wallon, les deux mots accolés ne désignent pas deux domaines distincts juxtaposés, mais les accentuations possibles et variables d’un rapport qui seul existe vraiment.Pour Piaget, l’adaptation est effectivement un rapport puisqu’elle résulte d’un équilibre constamment renouvelé entre les «assimilations», d’une part, c’est-à-dire les actions par lesquelles un sujet incorpore les choses et les personnes à son activité propre, à ses structures acquises, et «les accommodations», d’autre part, c’est-à-dire les actions par lesquelles il réajuste ces structures, en fonction des transformations subies, au milieu environnant. Piaget montre ainsi comment les premiers réflexes et les premiers schèmes sensorimoteurs du petit enfant, constitutifs de son intelligence dite sensorimotrice ou pratique, s’intériorisent grâce au langage, se socialisent et deviennent des «opérations», d’abord concrètes, à réversibilité limitée (comme les classifications figurales, non figurales, hiérarchiques, les sériations, entre autres), puis abstraites, à réversibilité totale (comme la logique des propositions). En d’autres termes, loin d’être extérieure et hétérogène à la genèse dite psychique de l’intelligence humaine, la motricité, si rudimentaire soit-elle, constitue peu à peu celle-ci par des structurations successives se caractérisant, à chaque stade, par des «paliers d’équilibre ».Un tel éclairage du phénomène psychomoteur est essentiellement gouverné et, par conséquent, limité par la visée épistémologique ou logicienne de Piaget: la psychomotricité n’est, pour celui-ci, qu’un épiphénomène d’un processus logique d’équilibration réglant toute forme de vie et suscitant des structures d’ensemble dont certains éléments seuls sont réalisés, tandis que d’autres se réfèrent à des transformations possibles.Chez Wallon au contraire, la psychomotricité désigne l’étoffe même, la réalité vivante et dernière du développement infantile, qui, plutôt qu’à un processus logique, obéit à l’exigence des changements des rapports de l’enfant avec la diversité des milieux, depuis la symbiose physiologique avec le milieu utérin à l’état fœtal jusqu’aux relations éthicopolitiques avec la cité à l’âge adulte. «Si bien équilibrée que soit la thèse de Piaget, écrit Wallon, elle n’est pas conforme aux rapports réels de l’enfant avec son milieu, qui ne sont pas de simple succession, qui ne relèvent pas du pur raisonnement ou de l’intuition intellectuelle, mais qui mêlent dès l’origine sa vie à son ambiance, par l’intermédiaire d’actions et de réactions appartenant à tous les plans de son psychisme.» Bref, si, chez Piaget, la signification de l’unité psychomotrice est logique, elle devient, chez Wallon, biosociologique.Le développement psychomoteur de l’enfantWallon n’a jamais cessé de souligner «l’importance du mouvement dans le développement psychologique de l’enfant», afin de faire saisir dans le mouvement même la réalité du rapport de l’enfant avec le milieu physique, vital et humain; cela l’amène inévitablement à rompre avec la psychologie traditionnelle, qui prend son point de départ et son type d’explication dans la conscience et, par conséquent, dans les seules images, quelles que soient les formes qu’elles revêtent (sensation, perception, mémoire, etc.). «Entre les conditions extérieures d’un acte et ses conditions subjectives, le mouvement n’est plus, dit Wallon, un simple mécanisme d’exécution, dont il resterait à dire quelles forces ou quel agent intimes sont capables de l’utiliser; il n’est pas entre elles un simple trait d’union, il se confond avec elles. Et si étendu qu’en devienne le circuit ou le détail des opérations, chaque étape, chaque degré de son organisation est l’expression immédiate des rapports qui se sont établis entre l’individu et le milieu.» En somme, le mouvement «appartient à la structure de la vie psychique».Par sa nature même, en effet, il contient en puissance les différentes directions que pourra prendre l’activité psychique. Il est essentiellement déplacement dans l’espace, et revêt trois formes qui ont chacune son importance dans l’évolution psychologique de l’enfant. Il peut d’abord être passif ou exogène , c’est-à-dire dépendant de forces extérieures, au premier rang desquelles on trouve la pesanteur. Il ne peut alors provoquer que des réactions secondaires de compensation ou de rééquilibre, tels les réflexes labyrinthiques spécifiques de la période prénatale, qui sont à la tête d’une lignée qui, par étapes successives, à travers la recherche des postures nécessaires et des points d’appui appropriés, conduira l’enfant de la position couchée aux positions assise, à genoux et finalement debout. La deuxième forme de mouvement consiste dans les déplacements autogènes ou actifs soit du corps lui-même dans le milieu extérieur, soit d’objets qui s’y trouvent: locomotion ou préhension. La troisième enfin est le déplacement des segments corporels ou de leurs fractions les uns par rapport aux autres. Il s’agit de réactions posturales qui se confondent partiellement avec celles de l’équilibre dans le premier groupe, mais qui prennent un caractère plus différencié et plus psychologique: elles s’extériorisent comme attitudes et comme mimiques. Ces trois sortes de mouvements s’impliquent et se conditionnent mutuellement. Si l’on se rappelle, par ailleurs, que l’organe du mouvement sous toutes ses formes est la musculature striée avec sa double fonction clonique (raccourcissement et allongement des myofibrilles) et tonique (maintien du niveau de tension), on comprend aisément que les variations de tout cet appareil fonctionnel, d’une part, permettront à l’enfant de modifier ses rapports avec le milieu et, d’autre part, pourront être, selon les individus, plus ou moins précoces ou plus ou moins prégnantes: cela explique la diversité des complexions motrices.Le développement psychomoteur de l’enfant passe par les principaux stades suivants: le stade impulsif des décharges motrices inefficientes du nourrisson; le stade émotionnel, où les gestes de l’enfant deviennent utiles et tendent à exprimer à l’entourage ses exigences affectives; le stade sensori-moteur, par lequel l’enfant, à la fois par le développement de son activité manuelle, de la station debout et de son activité phonatoire, réussit à associer plus étroitement le mouvement à ses conséquences sensibles et à opérer par là un repérage minutieux des données sensorielles rendant ainsi possible une perception plus précise des excitations causées par les objets extérieurs. Bref, il est capable de l’«activité circulaire», ainsi dénommée parce que l’effet provenant d’un mouvement parfois fortuit entraîne la reproduction de celui-ci comme pour vérifier les rapports entre mouvement et objet, et leurs mutuelles modifications. Puis vient le stade projectif, où le mouvement, après avoir été lié à des influences subjectives et à la perception d’objets extérieurs, accompagne désormais les représentations mentales. L’enfant paraît vouloir mimer sa pensée défaillante et en distribuer les images dans son environnement actuel comme pour leur conférer une présence. Enfin, l’activité d’imitation prend de plus en plus d’importance, contribuant, avec le développement de la parole, à l’émergence de la fonction symbolique et à la transformation et à l’enrichissement de l’intelligence conceptuelle.Syndromes et types psychomoteurs selon WallonLe mouvement n’intervient pas seulement dans le développement psychique de l’enfant, il influe aussi sur son comportement proprement individuel. Chaque individu a une complexion motrice personnelle qui dépend des réglages variables de ses différentes activités musculaires. C’est ce que Wallon appelle un «type psychomoteur». Or il y a, selon lui, autant de types qu’il y a de possibilités de défaillance ou d’insuffisance de l’un ou l’autre de ces réglages et des appareils fonctionnels correspondants. Les manifestations de ces insuffisances ou syndromes dérivent donc de trois causes principales: lésions des centres ou faisceaux nerveux correspondant à chaque appareil; imperfections de la maturation (arrêt, ralentissement ou régression); enfin, inhibitions du contrôle des centres supérieurs, lesquelles désorganisent ou désorbitent les réactions des centres inférieurs. C’est ainsi que, s’inspirant de la classification de Gourévitch, Wallon distingue sept syndromes et types: l’infantilisme moteur , qui ne dépasse pas le niveau de la première enfance et qui se traduit par l’insuffisance globale de la maturation (persistance de réflexes archaïques, d’attitudes, de synergies, de syncinésies et insuffisances posturales et motrices); l’asynergie motrice et mentale , qui traduit les défaillances de l’action régulatrice exercée par l’appareil cérébelleux sur le système moteur et, par là, sur les fonctions biopsychiques (oscillations, balancements, nystagmus, troubles du langage, émotivité); l’extrapyramidal inférieur , assez rare et apparenté au syndrome de Parkinson; l’extrapyramidal moyen , syndrome combiné d’hypertonie et de réactions perverses (rigidité musculaire, attitudes contractées et opposition, sournoiserie); l’extrapyramidal supérieur , ou subchoréique: instabilité d’attitude, trémulations, syncinésies, réactions vasomotrices et émotives violentes, impulsivité, excitation, affectivité et automatismes incontrôlés, irréflexion; le cortical à prédominance pyramidale ou cortico-projectif , qui comprend des symptômes d’insuffisance pyramidale (syncinésies, exagération des réflexes tendineux, par exemple) et d’insuffisance du lobe frontal (difficultés de la marche et troubles du mouvement volontaire en position assise ou couchée, entre autres); le cortical à prédominance préfrontale ou cortico-associatif-frontal , caractérisé par la domination de l’influence frontale (exubérance, agitation, parfois humeur joviale malgré une physionomie vide d’expression, pauvreté du langage).Expérience du corps et thérapie psychomotriceBien qu’elle garde une certaine valeur nosologique, la classification de Wallon a suscité, quant à ses principes, maintes critiques: tout d’abord celle d’être une survivance des conceptions anatomo-cliniques qui dépeçaient les fonctions en rapportant chacune de leurs composantes à un organe ou centre nerveux, conceptions elles-mêmes tributaires de la théorie jacksonienne de la hiérarchisation des niveaux fonctionnels selon laquelle chaque niveau supérieur, en tant que tel plus complexe, plus organisé, plus volontaire, contrôle le niveau inférieur; en outre, il s’avère que les stades réalisés en pathologie ne sont que la caricature grossière de ceux par lesquels passe l’enfant normal. Autrement dit, la perspective wallonienne pâtit du postulat discutable du parallélisme entre le pathologique et le normal et de la déduction du premier à partir du second, postulat qui a été réfuté par Goldstein et plus récemment par Georges Canguilhem.Il convient donc de corriger cette classification des syndromes et la conception conjointe des types, en leur prêtant aux uns et aux autres une justification plus clinique qu’anatomo-pathologique. Wallon, d’ailleurs, nous y invite lui-même en soulignant le rôle de la relation avec autrui dans la formation, les perturbations et la complexion personnelle de la psychomotricité. C’est ainsi que, développant sa théorie de l’émotion comme relation tonique et exploitant l’apport psychanalytique mal apprécié par Wallon, J. de Ajuriaguerra a assoupli et élargi le tableau des troubles psychomoteurs: il met l’accent autant sinon plus sur leur signification relationnelle, affective et pulsionnelle que sur leur infrastructure anatomo-physiologique. La psychomotricité serait à lire comme un langage, l’expérience du corps comme un dialogue tonique. On est conduit par là à prendre en considération de manière privilégiée des signes tels que les tics, le bégaiement, l’énurésie, l’anxiété, la dyslexie, la dysgraphie, et, par extension, les perturbations névrotiques, psychosomatiques et psychotiques.On comprend dès lors que le même auteur définisse la thérapie, ou rééducation psychomotrice, comme une «technique qui, par le truchement du corps et du mouvement, s’adresse à l’être dans sa totalité. Elle ne vise pas la réadaptation fonctionnelle en secteur et encore moins une survalorisation du muscle, mais la fluidité du corps dans l’environnement. Son but est de permettre de mieux se sentir, et ainsi, par un meilleur investissement de sa corporalité, de se situer dans l’espace, dans le temps, dans le monde des objets et de parvenir à un remaniement et à une harmonisation de ses modes de relation avec autrui». Cette thérapie inclut donc aussi bien des techniques kinésithérapiques (comme l’hydrothérapie, le massage, la vibrothérapie, l’électrothérapie), psychosomatiques (relaxation) ou gymnastiques (exercices d’équilibration, de coordination, manipulation), sportives (sports individuels et collectifs), artistiques (théâtre, danse, mime, peinture) que psychothérapiques et plus précisément psychanalytiques (entre autres, psychodrames, jeux avec poupées, verbalisation spontanée par récits imaginaires, entretiens avec dessins).Le champ de la psychomotricitéCette variété de techniques correspond, en fait, à l’étendue du champ total de la psychomotricité, qui, au-delà des études génétiques, différentielles ou pathologiques, voit s’ouvrir aujourd’hui le vaste domaine de l’adaptation pragmatique (avec les recherches sur les modalités d’apprentissage des techniques professionnelles, manuelles ou intellectuelles), sociale (recherches sur les modalités de communication interpersonnelle, d’ordre linguistique ou extralinguistique), esthétique (recherches sur les techniques d’expression corporelle au théâtre, comme celle de Grotowski, ou dans la danse, comme celle de Béjart, par exemple) et surtout éducative. C’est, en effet, dans l’éducation physique et sportive contemporaine que la psychomotricité a trouvé le plus grand essor avec les recherches du docteur Le Boulch sur l’«éducation psychocinétique», ou éducation scientifique de la personnalité totale par le mouvement. Cette éducation vise la conduite motrice d’adaptation au milieu physique et social et tend à la rendre le plus consciente et le mieux contrôlée chez un individu engagé totalement dans chacun de ses actes moteurs. Aussi était-il logique que le concept de psychomotricité se muât en celui de «psychosociomotricité», selon l’expression d’un spécialiste d’éducation physique. Le domaine de la psychomotricité recouvre donc, en définitive, la totalité des fonctions concourant, d’une part, à l’élaboration, à la conduite et à l’ajustement des actes moteurs et, d’autre part, à la gouverne des dispositions et des attitudes corporelles, mises en rapport avec une situation spatio-temporelle et relationnelle dans sa signification affective et sociale; il recouvre, en somme, toute la maîtrise du comportement.• 1952; de psycho- et motricité♦ Didact. Intégration des fonctions motrices et psychiques résultant de la maturation du système nerveux.psychomotricitén. f. Ensemble des fonctions motrices et psychiques normalement en synergie après maturation et éducation.⇒PSYCHOMOTRICITÉ, subst. fém.MÉD. Synergie entre le psychisme et la motricité. Tests de psychomotricité (POROT 1960). La psychomotricité suppose une intégration harmonieuse des apprentissages éducatifs en interaction avec la maturation des fonctions motrices et psychiques (THINÈS-LEMP. 1975).Prononc. :[
]. Étymol. et Hist. 1952 [1re éd.] (POROT). Comp. de l'élém. formant psycho- et de motricité.
psychomotricité [psikomɔtʀisite] n. f.❖♦ Didact. Fonctionnement synergique d'ensemble des fonctions motrices et psychiques, résultant de leur intégration, éducation et maturation respectives et réciproques. || Troubles de la psychomotricité. ⇒ Psychomoteur. || Critères d'évaluation de la psychomotricité (motricité générale, habileté manuelle, maîtrise du langage, tonus musculaire, maintien postural, contrôle des sphincters, possibilité de relaxation…). || « L'école maternelle est école de créativité et de joie (…) école de psychomotricité et de maîtrise de soi » (J.-M. Gabaude, la Pédagogie contemporaine, 1972).REM. On écrit aussi psycho-motricité.
Encyclopédie Universelle. 2012.